Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière

Puis vous m’avez perdu de vue ; un vent qui souffle
Disperse nos destins, nos jours, notre raison,
Nos cœurs, aux quatre coins du livide horizon ;
Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière.
La seconde âme en nous se greffe à la première ;
Toujours la même tige avec une autre fleur.
J’ai connu le combat, le labeur, la douleur,
Les faux amis, ces nœuds qui deviennent couleuvres ;
J’ai porté deuils sur deuils ; j’ai mis œuvres sur œuvres ;
Vous ayant oublié, je ne le cache pas,
Marquis ; soudain j’entends dans ma maison un pas,
C’est le vôtre, et j’entends une voix, c’est la vôtre,
Qui m’appelle apostat, moi qui me crus apôtre !

Victor Hugo. Les Contemplations (extrait). Livre de Poche. 2002