Soleil

Soleil, un petit d’homme est là sur ton chemin
Et tu mets sous ses yeux ce qu’il faut de lointains.
Ne sauras-tu jamais un peu de ce qu’il pense ?
Ah tu es faible aussi, sans aucune défense,
Toi   qui   n’as   que   la   nuit  pour   sillage,   pour   fin.
Et peut-être que Dieu partage notre faim
Et que tous ces vivants et ces morts sur la terre
Ne sont que des morceaux de sa grande misère,
Dieu toujours appelé. Dieu toujours appelant,
Comme le bruit confus de notre propre sang.
Soleil, je suis heureux de rester sans réponse,
Ta lumière suffit qui brille sur ces ronces.
Je cherche autour de moi ce que je puis t’offrir.
Si je pouvais du moins te faire un jour chérir
Dans un matin d’hiver ta présence tacite,
Ou ce ciel dont tu es la seule marguerite,
Mais mon cœur ne peut rien sous l’os, il est sans voix
Et toujours se hâtant pour s’approcher de toi,
Et oujours à deux doigts obscurs de ta lumière,
Elle qui ne pourrait non plus le satisfaire.

Jules Supervielle. Le forçat innocent. Poésie Gallimard. 1969