La conscience en sursis

Il n’est qu’une réponse qui n’a pas de pourquoi et c’est Je suis.

« Ne méditez pas – soyez !
Ne pensez pas que vous êtes – soyez !
Ne pensez pas à l’être – vous êtes ! »
          Ramana Maharshi. Sois ce que tu es.

Les mystères d’aujourd’hui ont aussi leurs Sphinx, gardiens et passeurs de métamorphoses. Par ce qui peut apparaître dans tout cheminement personnel comme un labyrinthe, une déambulation voire un vagabondage, il est des franchissements nécessaires pour qui veut se connaître, le Sphinx ayant beaucoup enfanté.
Et c’est encore et toujours du « moi » et de son identification qu’il s’agit, un « moi » sujet, joueur et enjeu de cette quête. C’est pourquoi, et bien que je puisse lutter longtemps pour ignorer qui je suis, je ne puis dire que je ne suis pas !
A cet état de fait s’ajoute, bien évidemment, une foultitude de questionnements intermédiaires qui assaille. Mais ultimement, il n’y a que cela.
Je n’épuiserais pas le champ des possibles mais j’écouterais le chant du réel, un  réel qui n’est jamais à explorer parce qu’il est ou il n’est pas.
Ainsi, sur ce fil du réel, je suis comme un funambule en recherche d’équilibre sur deux abîmes : ceux du rêve et du cauchemar, l’un n’allant pas sans l’autre comme une dualité incarnée en moi. Et puisque je me sens submergé par ce somnambulisme ambiant qui ne me propose d’autre choix que d’adhérer au consensus général qui bannit toute forme de réflexions hormis justement celle conditionnée qu’elle offre, soit je me soumets, soit je me réveille ; soit je refuse, soit je reçois.

Atome de cosmos costumé de chair et ruisselant d’esprit, de cette glaise originelle, je suis apparu. Puis, pendant que l’éducation parentale, scolaire et sociétale faisant leurs offices de cloître, des pensées ratiocinantes et ininterrompues m’envahirent quant au sens de tout cela, preuve d’un certain marasme intérieur.
Ce n’est que livré à soi-même qu’il est possible de se délivrer de tout ce qui ne vient pas de soi, l’expérience de vivre confirmant la véracité d’une recherche entreprise partant d’un magma émotionnel vers une mise en ordre de soi et à la stricte condition, d’une part, de le désirer vivement et, d’autre part, d’émerger de cette gangue d’ego, enveloppe surnuméraire d’avatars du moi.

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 « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide.
 Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue. »
          Albert Camus. Le mythe de Sisyphe.

Philosopher, certes, mais comme un art de vivre sa pensée pour panser sa vie.
Qu’est-ce que je veux ?
Qu’est-ce que je cherche ?
Qu’est-ce que j’espère ?
Trois questions initiatiques pour transformer son existence d’aliéné vers une libération d’être, c’est-à-dire pour retrouver cette joie primordiale de vivre dans ce temps imparti entre celui que je n’étais pas et celui que je ne serai plus.
Et c’est parce que la conscience de mourir devient de plus en plus prégnante, qu’une démarche peut s’enclencher.
On peut passer le temps à astiquer ses chaînes ou aller voir comment déverrouiller leurs cadenas. Il n’est d’autre perspective.
Le tragique n’est pas de se sentir comme un enfant démuni mais de vouloir le demeurer. De même que ce n’est pas la peur qui est le problème mais une appétence à la nourrir. Finalement c’est toujours vouloir la fausse sécurité de l’ego parce qu’on s’y cramponne à ses dépends dans la folie magique qu’elle serait protectrice. Alors on succombe à ses schémas de répétition et à ses stratégies de survie qui, à force d’auto confinement dans sa  forteresse mentale conduisent à l’étouffement. C’est l’histoire de la grenouille plongée dans l’eau froide en cours de cuisson qui ne se rend pas compte qu’elle est en train de mourir à petits feux.

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« Ce que l’âme doit voir, c’est la lumière par laquelle elle est illuminée.
Car le soleil non plus n’est pas vu dans la lumière d’un autre.
– Comment cela se réalisera-t-il ?
– Retranche tout. »
          Plotin, Ennéades.

Une fois l’initiation passée par cet examen de conscience au tamis de sa mémoire, des bribes de réponses apparaissant, il n’y a qu’à tout recommencer !
Car ce n’est pas la réponse qui importe, c’est la démarche.
C’est dans le mouvement même du questionnement que quelque chose en soi s’abandonne : le désir d’obtenir. C’est un travail d’introspection dont on ne peut faire l’économie à moins de rester en marge de soi-même.
Il s’agit aussi de ne pas se tromper de cible car la flèche que j’envoie me revient en plein cœur comme un boomerang. C’est voir qu’il n’y a rien d’extérieur ni d’étranger à moi mais exclusivement une représentation intérieure projetée sur le grand théâtre du monde.
Autrement dit, pour être, il suffit de se retrancher d’avoir, de ses possessions, de ses attachements, de ses dépendances, de ses croyances. En bref, de ses illusions.
Quête d’une vie ou d’un instant, tout est possible.

Nourrir ses névroses et abreuver ses rêves fait partie du processus de vivre dès que ce n’est plus une fuite en avant. La présence, l’observation et le ressenti amènent immanquablement à lâcher-prise, non par décision, mais parce que c’est la prise qui finit par lâcher.
Il en est de même pour le pardon qui ne se donne pas par je ne sais qu’elle bonté d’âme mais qui advient quand il n’y a plus personne pour le revendiquer. Voilà où se situe un véritable humanisme et une sérieuse compassion.

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 « On ne trouve pas la paix en fuyant la vie. »
          Virginia Woolf. The hours.

Je ne sais si je saurai dire la pensée qui m’étreint et qui aspire à exprimer ce que je contiens ? Trouver les mots qui correspondent au plus près de mes émotions puisque tout langage est un travestissement de ce qui ne peut justement se dire ?
Je ne peux donc que tendre vers.

C’est parce que je me sens endormi que je peux vouloir me réveiller et c’est parce que la souffrance est un chemin trop inutilement rabâché qu’il n’y a rien à perdre à prendre une nouvelle voie.
S’il y a des serrures à mon monde replié sur lui-même, c’est qu’il y a des clés !
En voici l’une d’elles :
D’abord appliquer le PRINCIPE DE RÉALITÉ à ce qui arrive, autrement dit être pleinement là où sont posés ses pieds. Et à l’inverse, voir ce qui l’empêche : comment fait on pour fuir la situation, comment on s’arrange avec elle, comment on surajoute.
Puis employer le PASSAGE A L’ACTE, le petit pas, en conscience, qui modifie le contexte et permet de nouvelles émergences.
Enfin pratiquer la DEMANDE D’AIDE intérieure afin de se rendre disponible et réceptif. C’est reconnaître qu’on ne peut s’en sortir seul avec son ego (on ne peut secourir quelqu’un qui se noie s’il n’appelle pas à l’aide !)
Ainsi l’orgueil diminue face à une saine estime de soi, l’exigence de réussite se dissout par un plus grand désir de vivre et la sculpture du moi se délabre en laissant la place à une danse de soi.

La vie donne en proportion exacte de ce qu’on lui demande à la condition d’être lucide avec soi-même. Dieu ne cesse de parler mais on ne l’entend pas tellement nos oreilles sont obstruées par nos sérénades d’autosuffisance !
N’oublions pas que tout est à portée d’intelligence puisque c’est là, ici, maintenant. Il est donc inutile de le chercher ailleurs.
Tu as « l’âge de ta persona », le personnage que tu t’es fabriqué ? Qu’est-ce qui parle en toi ? A quelle instance te soumets-tu ? Est-ce le fruit de ton expérience ou la conséquence de tes conditionnements familiaux et transgénéalogiques ?
Nous ne pouvons croire au « bien » sans croire au « mal ». C’est une loi d’équilibre de ce monde. Il doit donc y avoir un « au-delà du bien et du mal » !
Et tant que l’on respire, c’est qu’on peut encore apprendre à être.
Qu’est-ce qui anime la vie que je porte en moi ? Le plaisir, mais il aura une fin ; la compensation de mes frustrations, mais elle est insatiable ; la vengeance, mais elle est épuisante…
Y-a-t-il quelqu’un qui vit dans le corps que je suis ?

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  « Vis ta vie. Ne sois pas vécu par elle. »
          Fernando Pessoa. Le livre de l’intranquillité.

Etre disciple de la vie comme elle vient sans les détours du raisonnement qui diffèrent la rencontre avec soi-même. Faire appel à son thérapeute intérieur, celui qui sait ce qui est bon pour soi sans le parasitage des tergiversations et des commentaires.
Nous ne voyons plus ce que nous sommes mais seulement ce qui nous manque. Nous choisissons de déserter le champ humain de la conscience, partie essentielle à l’image du Tout, pour un bénéfice superficiel et provisoire.

Sommes-nous prêts à l’inattendu, prenant notre quotidien comme source, moyen et but de qui Je suis ? Il n’est rien de plus sacré que cet instant qui passe.
Peu importe que le verre soit à moitié plein ou à moitié vide. Il s’agit de voir qu’il n’y a pas de verre !

Il ne manque rien à ce qui est, même pas « moi » !

Etre une personne pour naître personne.

 

Patrick Giles