Moitessier. La longue route

L’homme-robot téléguidé pullulera sur la Terre, et ensuite notre planète s’en débarrassera comme on se débarrasse de la vermine. Il restera quelques lamas au Tibet, quelques rescapés sur les montagnes et sur la mer, peut-être. Et tout le cycle sera à recommencer, le Monstre aura gagné, l’humanité aura perdu. A moins que nous ne comprenions à temps où se trouve notre dernière chance, la dernière porte encore entrouverte en notre époque d’engins nucléaires et de pourriture généralisée, corps et âme.
Je songe au jour où un pays du monde moderne aura pour président un hippy avec des ministres va-nu-pieds. Je demanderai tout de suite ma naturalisation. Le Christ et les apôtres étaient des va-nu-pieds, ça les a sûrement aidés à faire des miracles. C’étaient aussi des hippies, ainsi que Bouddha, ainsi que tous les saints.
Les fabricants d’automobiles et les marchands de canons parleraient d’atteinte à la Liberté et aux Droits les plus sacrés de l’Homme en entendant notre hymne… mais notre terre retrouverait son visage et les hommes avec. Les hommes, sans majuscule.
On ne récolterait pas les médailles d’or aux jeux Olympiques, mais les surhommes aux médailles d’or écouteraient notre hymne. Et ils demanderaient leur naturalisation pour ne plus être des surhommes. Alors les fabricants d’automobiles, de pétrole, d’avions super géants, de bombes, de généraux et de Tout-le-Reste sentiraient peu à peu que le tournant est enfin pris, que les hommes guidés par le cœur et l’instinct, c’est mille fois plus vrai que tous les trucs tordus de la Finance et de la Politique.
Le Monstre s’est arrangé pour qu’on accuse les hippies de beaucoup de crimes. Leur crime est de sentir profondément que l’Argent n’est pas le but suprême de l’existence. C’est leur refus d’être les complices d’une société où tous les coups sont permis pourvu qu’ils soient légaux. C’est de n’être pas d’accord avec les destructions physique et spirituelle de la course au Progrès. Et c’est une grande espérance pour tous, de voir que tant le comprennent.

Bernard Moitessier. La longue route. J’ai lu. 2003