Kazantzaki. Le pauvre d’Assise

Etait-ce donc toi, Père François, que je cherchais depuis tant d’années ? Suis-je né uniquement pour te suivre ? Ce que tu m’as dit, tu ne l’a dit à personne d’autre. Tu me prenais par la main et, tandis que nous traversions les forêts, que nous franchissions les montagnes, tu parlais… Et moi je tendais l’oreille, et t’écoutais, sans un mot.

  • Si je ne t’avais pas avec moi, frère Léon, me disais-tu, je parlerai aux pierres, aux fourmis, aux feuilles d’olivier… J’ai le cœur plein à craquer ; si je ne l’ouvre pas, il risque d’éclater.

Ainsi, j’en sais plus sur toi que personne au monde. Tu as commis beaucoup plus de péchés qu’in ne l’imagine et accompli beaucoup plus de miracles qu’on ne le croit. C’est du fond de l’Enfer que tu as pris ton élan pour monter au Ciel.

Tu me disais souvent : « Plus bas est ton point de départ, plus haute sera ton élévation. Le plus grand mérite du chrétien militant n’est pas sa vertu, mais le combat qu’il livre pour transmuter en vertu son impudeur, sa lâcheté, son incroyance, sa malice. Un jour, un glorieux archange viendra se placer à la droite de Dieu et ce ne sera ni Michel ni Gabriel, ce sera Lucifer, qui aura enfin transmuté son horrible noirceur en lumière. »

Nikos Kazantzaki. Le pauvre d’Assise. Plon. 1958