Yourcenar. En pèlerin et en étranger

Pareillement, car les deux sons se font échos, les deux hémisphères se rejoignent, chrétien et antique, profonde humilité et profond orgueil, connaissance de son néant et sens d’appartenir au tout.

Il est trop tôt pour parler, pour écrire, pour penser peut-être, et pendant quelque temps notre langage ressemblera au bégaiement du grand blessé qu’on rééduque. Profitons de ce silence comme d’un apprentissage mystique.

Quoiqu’il arrive, j’apprends. Je gagne à tout coup.
Tout ce qui est bon aux heures de délices reste exquis aux heures de détresse. Ceux qui changent d’avis dans le malheur, comme ceux qui se convertissent au moment de mourir, avouent par là qu’ils ont mal vécu.

La vie est un songe. La vida es un sueño. Nous sommes tous d’accord. Calderon, Shakespeare et Pindare ont déjà dit cela. Borges lui-même a raconté un rêve, authentique dit-il, où un ennemi, devenu faible et infirme et auquel il a ouvert par pitié la porte, sort son revolver : « Je vais vous tuer et vous n’avez aucun moyen de m’échapper. – Si, fait Borges, j’ai un moyen. – Et lequel ? Me réveiller. » Le visiteur n’est qu’un songe. Mais si toute la vie en est un, la mort ne serait-elle pas elle-même un réveil ? Comme toujours, chez Borges, les deux possibilités se fondent et s’échangent. La vie et la mort font partie du livre de sable.

Marguerite Yourcenar. En pèlerin et en étranger. Gallimard