Notre besoin de croire est impossible à rassasier

Notre besoin de croire est impossible à rassasier.

« Lève-toi d’un bond, agite tes poings, menace et prévient l’univers entier que ton cœur ne peut plus vivre sans véritable amour ! »
              Hafiz. Poète persan du XIVème siècle

Nous sommes ainsi faits, nous ne nous contentons pas de ce que nous sommes, nous y ajoutons des croyances. Et plutôt que de les remettre en questions, nous nous en gargarisons davantage tant qu’elles nous paraissent satisfaisantes.
Pourtant les opinions c’est comme les oignons, ça s’épluche.
Ce besoin de croire comble, pensons-nous, le désespoir de notre disparition. Nous ne sommes en vie que provisoirement.
Ce qui fait que face à la nouveauté qui nous échappe ou nous fait peur, nous préférons ne pas voir, ne pas savoir, et nous réfugier dans notre zone de confort que nous appelons « notre liberté » bien qu’il s’agisse plutôt d’une liberté sous condition.
A force de croyances, la forteresse du « moi » semble bien solide. Autant qu’un château de sable à l’approche de la marée montante.
Et la croyance ne peut se dissoudre qu’à l’usure régulière d’une réflexion.
Qu’est-ce que réfléchir sinon fléchir sa prétention et refléter ce qui s’est transformé en soi.

Il est vrai que se remettre en question ne va pas de soi et présuppose déjà qu’un doute salvateur a fissuré des conceptions dont la sécurité s’est révélée fallacieuse. Et ce doute entraîne une déconstruction de croyances dont le premier effet pénible est la sidération. A la fois de s’être trompé et à la fois de se sentir déstabilisé par l’ampleur de ce qui est vu. A cette sidération succède un effet de dégoût de soi-même en constatant tellement de noirceur, de jugements négatifs et de dénigrement sur soi et les autres.

Pourtant, il ne s’agit là que d’interprétations de ce que je suis et non de ce que je suis.
Je ne m’asservis que par ce à quoi je donne pouvoir.
A quelles entités, à quelles instances, à quels diktats, à quelles injonctions j’obéis ?
Quelle est la partie immergée de mon iceberg psychologique ?
Comment peut-on avancer avec des idées arrêtées !
On en revient toujours au sempiternel dilemme : A qui j’accorde ma foi : celui pour qui je me prends ou cela dont je suis le locataire ?
Cette foi qui n’est pas une somme de croyances mais une croyance transformée par une expérience sans l’imaginaire du rêveur. Ce qu’on nomme la réalité.

Pourtant, j’avance en hésitant et je « procrastine ». Les vieux démons de l’ego ne se laissent pas démonter si vite, bridés par ma paresse, mon aveuglement ou mon inconscience.
Si je ne cherche pas à apprendre de mon plein gré, c’est-à-dire à changer de fonctionnement, ce ne sera qu’un surcroit de souffrances qui fera bouger les marges.
C’est dans la nature de l’homme de vouloir apprendre mais de ne pas changer.
Et se complaire dans des excuses ou des justifications ne nuiront qu’à lui-même.
Alors mon existence ne consisterait elle donc qu’à vivre, jouir, souffrir et mourir ?
Quoiqu’il m’arrive, c’est à moi que revient la décision de ne pas succomber à une léthargie ontologique de celle qui attend la becquée, c’est de moi que dépend le choix de mes influences même si dans ce qui m’entoure la tendance est à l’infantilisation.
Il suffit de faire le premier pas pour aller vers…
Pose un acte et l’univers est modifié.

Il s’agit aussi de se méfier de soi et de ne plus se laisser prendre au piège d’une intelligence égocentrée qui réinterprète le vécu en mécontentement parce que son moteur est le manque et son essence l’insatisfaction. C’est traverser tous les âges de la vie, la dépendance enfantine, l’insouciante jeunesse, l’ignorance d’adulte par un processus personnel de conscience qu’on appelle maturation.
Ce n’est plus papillonner, faire l’autruche, parler comme un perroquet, être la grenouille dans l’eau froide en train de cuire, être le serpent en attente de sa mue mais devenir le colibri qui fait sa part.
C’est en cela qu’il n’y a jamais d’erreur, seulement des opportunités de croissance.
Sur le chemin je prends les embûches pour me réchauffer. Et c’est à force de me planter que je me suis cultivé !

La démence du raisonnement humain survient quand c’est la peur qui le domine. Et la peur passe ainsi avant notre capacité d’intelligence et de discernement car c’est une croyance si bien ancrée que de se sentir en vie moyennant des émotions.
Or si je n’ai plus peur, que me restera-t-il pour me sentir exister ?
Et l’absurdité est à son comble lorsque je préfère me donner raison (contre toute raison) pour satisfaire mon ego ou plus exactement pour assouvir l’image que je me fais de moi.
Tant que je privilégierai cette dissonance cognitive, je survivrai à l’ombre de mes œillères. Seule une preuve irréfutable pourra me dépouiller de mon attachement.
Et cette mise à l’épreuve ne pourra aboutir qu’avec mon plein engagement dans l’expérience. Ne plus rester au bord mais être dedans.

Sans oublier le paradoxe que chercher, c’est aussi fuir. C’est vouloir échapper à ce qui entrave le présent que je vis. Il n’y a pas à chercher ailleurs que là où sont mes pieds. Tout homme voulant se « désenténébrer » commencera ici et maintenant, pas là-bas ni plus tard sinon la machinerie du recyclage d’ego n’en finira pas.
Et l’encouragement viendra avec la démarche.

 

Chacun de nous vit dans sa bulle, convaincu que nous savons !
Et il est des bulles opaques, étanches, individuelles qui se dessèchent et d’autres qui s’accroissent en se contactant les unes aux autres. L’air que je respire est aussi l’air que tu respires. Qu’il soit dans mes poumons signifie-t-il qu’il m’appartient ?
A force de m’être allongé sur des divans, je me suis rendu compte que je suis vivant dans le divin.
De même que l’oisillon se jette dans le vide sans savoir que ses ailes le porteront, l’humain s’élance dans l’abîme sans savoir qu’un pont était déjà sous ses pieds.

Patrick Giles