Kardos. L’amour inconditionnel

Ma vie historique défilait devant moi, à rebours, et chaque petit événement, chaque détail a pris une proportion comme lumineuse, fut chargé de Sens. Par ce Sens, m’apparaissait une Intention puissante, sans ombres : un surplus de Présence qui éclipse celle dont je tirais jusqu’à présent mon identité. Un Présent inapprochable, perpétuel. Je me suis sentie aimée, éperdument, si personnellement aimée par cette « ardence » sans forme ! Est-il possible d’être entièrement vue et aimée gratuitenent ? Ma nullité, ma lourdeur, mon repentir devenaient l’empreinte même de Son Amour. Aucun nom ne peut qualifier cette tendresse enveloppante, qui abolit le dedans et le dehors, qui me prend pleinement en elle. Enveloppe subtile. Ultime, dernière enveloppe de la Terre, peuplée d’Amour. Mince couche de Vie déjà Autre, par qui la matière se transforme en elle-même, qui lui donne sa cohésion. Elle s’auto-régénère et ne dépend pas de ce qui la suscite. L’Amour y est une respiration profonde, l’haleine d’une vie intime à la vie, le dynamisme interne à la matière vivante, un énigmatique et constant surgissement de Vie Nouvelle, résurrecteur. Suis-je un cheveu dans ce volcan, une brèche dans insondable ? Il m’absorbe dans sa haute mer, me retire dans son esseulement : Parthénon où conflue toute l’humanité. Comment ma coupe sans paroi va-t-elle pouvoir retenir une marée haute qui déferle en elle ? La proximité lui échappe et l’éloignement en est absent. Pour ne faire resplendir qu’une Pure Intention, à la fois écoute et réponse d’une Chair Vivante : d’un vaste champ/chant. Notre corps humain est-il sa sonorité, l’ouïe de cet Amour qui nous crible l’âme de brulures comme les « taches de rousseur » de sa visitation ?

Une marque, un « sceau » de sa solitude re-virginatrice ?

Marguerite Kardos. Terre du ciel n° 36. Octobre 1996