Prière de Jean de la Croix

Dans une nuit obscure,
Désireuse, en amours enflammée,
Oh l’heureuse aventure !
Je sortis sans être remarquée,
Étant déjà ma maison reposée.

A l’obscur et protégée,
Par la secrète échelle déguisée,
Oh l’heureuse aventure !
À l’obscur, et en secret,
Étant déjà ma maison reposée.

En la nuit bienheureuse,
En cachette, car nul ne me voyait,
Ni moi rien regardais,
Sans autre feu ni guide
Que ceux qui dans mon coeur brûlaient.

Cette lumière me guidait,
Plus sûre sa façon que celle du midi,
Au lieu où m’espérait
Qui bien moi je savais,
En un lieu où nul ne paraissait.

Ô nuit qui as guidé !
Ô nuit aimable plus que l’aube !
Ô nuit qui réunis
L’Amant avec l’aimée,
L’Aimée en l’Amant transformée !

Sur mon sein fleuri,
Qui pour lui seul tout entier se gardait,
C’est là qu’il s’endormit,
Et je le caressais,
Et l’éventail de cèdres l’air faisait.

L’air du créneau,
Quand moi ses cheveux j’écartais,
De sa main sereine
Au cou me blessait,
Et tous mes sens il suspendait.

Je restai, m’oubliai,
Sur l’Amant mon visage appuyait ;
Tout cessa, et je m’abandonnai,
Laissant parmi les lis
Mon tourment oublié.

Dans une nuit obscure. Traduction François Bonfils. Librio. 2001