Ne faire qu’un

Bienheureuse Nature! Ce que je ressens quand je lève les yeux sur ta beauté, je ne saurais le dire, mais tout le bonheur du ciel habite les larmes que je pleure devant toi, la mieux aimée.
mon être se tait pour écouter les tendres vagues de l’air jouer autour de mon corps. Perdu dans le bleu immense, souvent je lève les yeux vers l’Éther ou je les abaisse sur la mer sacrée, et il me semble qu’un esprit fraternel m’ouvre les bras, que la souffrance de la solitude se dissout dans la vie divine.
Mais qu’est-ce que la vie divine, le ciel de l’homme sinon de ne faire qu’un avec toutes choses?
Ne faire qu’un avec toutes choses vivantes, retourner, par un radieux oubli de soi, dans le Tout de la Nature, tel est le plus haut degré de la pensée et de la joie, la cime sacrée, le lieu du calme éternel où midi perd sa touffeur, le tonnerre sa voix, où le bouillonnement de la mer se confond avec la houle des blés.
Ne faire qu’un avec toutes choses vivantes! A ces mots, la vertu rejette sa sévère armure, l’esprit de l’homme son sceptre; toutes pensées fondent devant l’image du monde éternellement un comme les règles de l’artiste acharné devant son Uranie; la dure Fatalité abdique, la mort quitte le cercle des créatures, et le monde, guéri de la séparation et du vieillissement, rayonne d’une beauté accrue.

Hölderlin. Hypérion. Poésie Gallimard. 1973