Tchekhov. Je suis mouette

Nina : « Je suis seule. Une fois tous les cent ans. J’ouvre la bouche pour parler, et ma voix résonne tristement dans ce vide, et personne n’entend… Vous non plus, blêmes lumières, vous ne m’entendez pas… Enfantés avant l’aube par le marais putride, vous errez jusqu’au jour, mais sans la pensée, sans la volonté, ni le frémissement de la vie. Craignant qu’en vous la vie surgisse, le père de la matière éternelle, Diable, à chaque instant provoque en votre sein, comme au sein des pierres et de l’eau, l’échange des atomes, et vous changez sans cesse. Dans l’Univers demeure immuable et constant, seul, l’Esprit. Tel un captif jeté dans un profond puits vide, je ne sais où je suis ni ce qui m’attend. L’unique chose qui ne soit cachée, c’est que dans la lutte opiniâtre et cruelle avec Diable, principe des forces matérielles, il m’est imparti de vaincre, et qu’après, la matière et l’esprit s’uniront en harmonie superbe, et adviendra le règne de la liberté universelle. Mais cela sera seulement lorsque peu à peu, à travers une longue, longue suite de millénaires, la lune et le clair Sirius et la terre seront devenus poussière… »

Tchekhov. La Mouette. Livre de Poche. 2012