Le territoire de l’être

Combien de formes abandonnées
Combien de moi détruits
Combien d’aurores et de nuits
Avant que je n’atteigne
Ce lieu de lumière et de vide
Où les oiseaux crient
Une présence
Ou n’est-ce encore qu’un signe ?

Tant de vie vécue
Pour cette seule flamme
Tant de chemin parcouru
Pour cet unique point
L’intelligence tremble
À l’approche de l’être nu.

Les chemins difficiles de l’esprit
Mènent à de tels lieux
Toute sensation puissante
Mène à ces déserts
Les destins des mots
À ces silences mouvants.

Ou n’est-ce encore qu’un signe ?
Couvrir mon corps nu de signes
Et être un signe parmi les signes
Ou aller au-delà des signes
Dans la lumière
Qui n’est pas le soleil
Dans les eaux
Qui ne sont pas l’océan.

Toujours le paysage métaphysique
Mais de plus en plus abstrait
De plus en plus abrupt
Où les plus distantes irréalités
Sont la réalité
Et la vie
Cette écume dansante
Cette ligne blanche
Cette lisière incandescente
Qui avance
Au-delà des phrases et des problèmes.

Métaphysique ?
Le physique absolu
L’opaque consumé
La lourdeur dissoute.

Cette flaque d’eau
Contenant ciel et rochers
Traversée par le vol rapide des oiseaux
Présente mieux mon visage original
Que même le visage de Bouddha…

Kenneth White. Le territoire de l’être. Le Nouveau Commerce. 1980