Histoire de faussaire

Se découpant sur champ d’azur, la ferme était fausse bien sûr
Et le chaume servant de toit synthétique comme il se doit
Au bout d’une allée de faux buis, on apercevait un faux puits
Du fond duquel la vérité n’avait jamais dû remonter

Et la maîtresse de céans dans un habit, ma foi, seyant
De fermière de comédie à ma rencontre descendit
Et mon petit bouquet, soudain, parut terne dans ce jardin
Près des massifs de fausses fleurs offrant les plus vives couleurs

Ayant foulé le faux gazon, je la suivis dans la maison
Où brillait sans se consumer, un genre de feu sans fumée
Face au faux buffet Henri II, alignés sur les rayons de
La bibliothèque en faux bois, faux bouquins achetés au poids

Faux Aubusson, fausses armures, faux tableaux de maîtres au mur
Fausses perles et faux bijoux, faux grains de beauté sur les joues
Faux ongles au bout des menottes, piano jouant des fausses notes
Avec des touches ne devant pas leur ivoire aux éléphants

Aux lueurs des fausses chandelles enlevant ses fausses dentelles
Elle a dit, mais ce n’était pas sûr, tu es mon premier faux pas
Fausse vierge, fausse pudeur, fausse fièvre, simulateurs
Ces anges artificiels venus d’un faux septième ciel

La seule chose un peu sincère dans cette histoire de faussaire
Et contre laquelle il ne faut peut-être pas s’inscrire en faux
C’est mon penchant pour elle et mon gros point du côté du poumon
Quand amoureuse elle tomba d’un vrai marquis de Carabas

En l’occurrence Cupidon se conduisit en faux-jeton
En véritable faux témoin et Vénus aussi, néanmoins
Ce serait sans doute mentir par omission de ne pas dire
Que je leur dois quand même une heure authentique de vrai bonheur

Georges Brassens. Les chansons d’abord. Livre de Poche. 1997