Random. Puissance du dedans

L’homme n’aime pas reconnaître sa face cachée. Mais il suffit qu’il prenne goût à la solliciter et à la voir pour que le sens profond de son existence en soit modifié. Au lieu de faire de son être un instrument de pensée et d’action – de dominer virilement la lutte quotidienne, il est à craindre que vivre devienne un prétexte. S’éprouver, cultiver la sensation de l’existence qui s’écoule à travers soi, quelle jouissance ! L’homme se suspend dans l’écoute de lui-même, il se ressent à la fois être et objet. La traduction de cette énergie tournée vers l’intérieur, mais dévastatrice et corrosive comme l’est à la longue un fleuve détourné de son cours, sert l’œuvre à faire chez l’écrivain. Dietrich se nourrit de sa propre substance. Il s’agit donc bien là d’une introversion dangereuse, qui, sous prétexte de dominer la connaissance intérieure, ne cesse de se regarder la tête en bas. Là est le piège. L’homme qui ne cesse de fuir devant son propre regard risque bien de vouloir se poursuivre sans jamais s’atteindre, de se désespérer. Et plus l’homme traverse l’épreuve du feu, moins ce feu le purifie, et plus il le dévaste. La connaissance de soi devient le sacrifice à une suprême illusion où après s’être consumé par tous les bouts, et avoir voulu soutenir trop de luttes équivoques dans les clairs-obscurs de l’âme, l’homme s’effondre, damné dans son propre effort de salut et sans comprendre ce qui lui arrive.

Michel Random. Les puissances du dedans. Denoël. 1966