Millot. O Solitude

Auparavant quand il faisait de longues courses à cheval dans la pampa, le plus souvent au galop, c’est alors que son esprit s’animait le plus et que ses idées affluaient. Au contraire, dans ce désert qu’il hantait chaque jour, son esprit « avait soudainement perdu sa nature de machine à penser » et s’était transformé en une tout autre machine, au fonctionnement mystérieux, adaptée à un but parfaitement inconnu. « Penser, dit-il, c’était mettre en mouvement dans mon cerveau un appareil bruyant. Or il y avait dans cette région quelque chose qui m’ordonnait de rester tranquille, et j’étais forcé d’obéir. » C’est à cette phrase que Brémond reconnut l’état de quiétude que les mystiques lui avaient rendu familier. Un autre état, ajoute Hudson, avait pris la place de la pensée.
Son être était aux aguets et comme en suspens et, cependant, il n’éprouvait pas l’ombre d’une crainte ou d’une inquiétude. C’était comme s’il était devenu quelqu’un d’une autre espèce, étrangère à l’espèce humaine. Et pourtant, cet état lui semblait en même temps familier. Il s’accompagnait, note-t-il, d’une forte sensation d’épanouissement, mais comme il avait, dans ces moments-là, oublié celui qu’il était d’ordinaire, il s’apercevait que quelque chose d’inédit lui était arrivé seulement lorsqu’il retrouvait « son ancien moi », son ancienne existence, si insipide au regard de cet être nouveau qu’il était devenu pendant quelques heures.

Catherine Millot. O Solitude. Folio. 2013