Prière de Madeleine Delbrêl

Seigneur, venez nous inviter.

Pour être un bon danseur, avec vous comme ailleurs,
Il ne faut pas savoir où cela mène.
Il faut suivre,
Être allègre,
Être léger,
Et surtout ne pas être raide.

Il ne faut pas vous demander d’explications
Sur les pas qu’il vous plaît de faire.
Il faut être comme un prolongement
Agile et vivant de vous,
Et recevoir par vous la transmission du rythme de l’orchestre.

Il ne faut pas vouloir à tout prix avancer,
Mais accepter de tourner, d’aller de côté.
Il faut savoir s’arrêter et glisser au lieu de marcher.
Et cela ne serait que des pas imbéciles
Si la musique n’en faisait une harmonie.

Mais nous oublions la musique de votre esprit,
Et nous faisons de notre vie un exercice de gymnastique ;
Nous oublions que, dans vos bras, elle se danse,
Que votre sainte volonté
Est d’une inconcevable fantaisie,
Et qu’il n’est de monotonie et d’ennui
Que pour les vieilles âmes
Qui font tapisserie
Dans le bal joyeux de votre amour.

Faites-nous vivre notre vie,
Non comme un jeu d’échec où tout est calculé,
Non comme un match où tout est difficile,
Non comme un théorème qui nous casse la tête,
Mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle,
Comme un bal,
Comme une danse
Entre les bras de votre grâce
Dans la musique universelle de l’amour.

Seigneur, venez nous inviter.

Madeleine Delbrêl, Nous autres gens des rues, Seuil, 1971