Roustang. Un secret

Se retirer, comme il l’a fait tant de fois, dans le vide de la parole réfutée, par toute parole vide de son sens. Se tenir a l’écart pour exercer le non-savoir, se mettre a l’écart pour retrouver le commencement. Le degré zéro de l’existence, lorsque la pensée n’a pas encore commencé, lorsqu’il n’y a pas encore eu de sentiment, ni d’intention, ni d’émotion, l’existence nue. II n’y a jamais eu de passé, il n’y a pas encore le moindre commencement d’avenir. A peine même la certitude d’exister, plutôt une plénitude qui ne se pense et qui ne se sent. Le retrait comme degré zéro du faire et du penser. A l’inverse, tout peut y être résolu parce qu’il n’y a plus rien d’idéal, rien qui surplombe ; la pensée s’est réduite à la chose. La transe comme retour a la nature d’homme, la réapparition de l’ousia humaine sans plus, de la sagesse en tant qu’humaine (anthropinè sophia), de l’excellence humaine ou de la vertu humaine (anthropinè arétè). Se réduire à cela, c’est-à-dire ne rien dire, ne rien penser, ne rien faire, être là simplement en tant qu’humain, ou mieux encore être là comme on est, identique a ce que l’on est et bien sur sans savoir ce que l’on est. La transe si ramassée sur elle-même que, sous aucune forme, elle n’a encore déployé ses possibles. S’il n’y a plus de comparaison, plus d’estime ou de mésestime, plus de valeur ni plus de jugement, on y trouve la vertu humaine, l’excellence humaine, ou la justice ou ce qui est juste avec la justesse, un joyau auquel il n’est rien besoin d’ajouter.

François Roustang. Le secret de Socrate. Odile Jacob. 2018