Wainhouse. Sur le champs de bataille

Ce qui semble se produire dans le monde n’est toujours que l’effet projeté de ce que croit le rêveur. Il n’y a pas d’exception à cette loi. Le refus de la paix, qui pourtant repose en lui, devient manifeste sur les champs de bataille du monde qu’il voit. Et il espère vivre en paix en justifiant les formes que prend le meurtre d’ennemis qu’il ne reconnaît pas comme siens. D’où viennent donc ces ennemis qui semblent étrangers et surgissent dans son monde comme les multiples têtes de l’hydre ? S’il se pose la question, qu’il se souvienne que ces camps ennemis qui se font la guerre sont semblables en tous points aux deux camps dont le conflit ontologique précipita l’esprit dans l’illusion de la dualité : d’un côté l’amour, de l’autre la haine.

« Au temps où vous étiez Un, vous avez fait le deux ; mais alors, étant deux, que ferez-vous ? » aurait dit Jésus. Ayant fait le deux, le rêveur n’a plus que le choix de rêver d’un état qui n’existe pas, bien qu’il y  croie totalement. Toutefois, dans son rêve, le modèle, l’archétype de ce qui est bien et bon, reste le Un, donc ce qui est unique – l’amour – qu’il idéalise et rend immédiatement spécial et particulier. Ainsi la division de l’esprit se reconnaît dans le particularisme du moi, et c’est par l’apparence du corps et de ce qui le caractérise que le rêveur se définit lui-même et s’attache à se différencier. La dualité lui offre donc le moyen de le faire en justifiant l’attaque contre ce qui lui est opposé et qu’il juge mauvais ou ennemi ; or seul un corps peut être attaqué et tué. Ainsi tente-t-il par tous les moyens d’éliminer ce qui s’oppose en accusant l’autre de haine. L’attaque contre le Tout, contre le Un, est tout à la fois la conséquence de la dualité et sa cause ; c’est-à-dire que l’une se recycle dans l’autre, comme le font la poule et l’œuf. Et c’est en plaçant sa foi dans l’attaque que le rêveur fait son malheur, car il croit que d’attaquer ces formes différentes lui donnera raison et qu’il échappera ainsi au conflit suscité par la dualité, un conflit qui toutefois ne se produit que dans son esprit.

Le conflit qui fait rage dans l’esprit du rêveur a pour effet la guerre au-dehors. Et l’élève ne pourra éviter d’en subir les effets tant qu’il n’aura pas totalement renoncé aux soi-disant avantages que lui procure sa croyance en la dualité. Renoncer à l’identification au corps et à son particularisme ; renoncer aux intérêts séparés de son moi, renoncer à son égocentrisme, à ses jugements dont il doit devenir de plus en plus conscient, fait partie d’un processus qui le conduira progressivement à se souvenir de Dieu. Mais s’il continue d’attaquer ce qui semble s’opposer, l’idée de Dieu ne peut lui venir à l’esprit – Lui qui est Un. Car hors de l’union il n’y a point de salut.

Michèle-Rose Wainhouse. La vie de l’Esprit. Regards sur l’itinéraire rêvé du « héros ». Édition A la carte. 2003