Les dons

Il lui fut donné la musique invisible
qui est un don du temps qui dans le temps s’achève ;
il lui fut donné la tragique beauté,
il lui fut donné l’amour, chose terrible.

Il lui fut donné de savoir qu’entre toutes les femmes
de la terre, il n’en est qu’une ;
un soir il découvrit la lune
et avec elle l’algèbre des étoiles.

Il lui fut donné l’infamie. Docilement
il étudia les crimes de l’épée,
la ruine de Carthage,
la lutte serrée de l’Orient et du Ponant.

Il lui fut donné le langage, ce mensonge,
il lui fut donné la chair, qui est limon,
il lui fut donné le cauchemar obscène
et dans le miroir, l’autre qui nous regarde.

Des livres que le temps accumule
il lui fut accordé quelques pages ;
de Zénon d’Elée les quelques paradoxes
que l’érosion du temps épargna.

Le sang dressé de l’amour humain
(l’image est d’un Grec) lui fut donné
par Celui dont le nom est un glaive
et qui dicte les mots à la main qui écrit.

D’autres choses lui furent données avec leurs noms :
le cube, la pyramide, la sphère,
le sable innombrable, le bois
et un corps pour marcher parmi les hommes.

Il fut toujours digne de la saveur du jour ;
telle est ton histoire, qui est aussi la mienne.

Jorge Luis Borges. Atlas. Gallimard.1988