L’immense oui

De quelqu’un qui se tait nous sommes les ministres ;
Le noir réseau du sort trouble nos yeux sinistres ;
Le vent nous courbe tous ;
L’ombre des mêmes nuits mêle toutes les têtes.
Qui donc sait le secret ? Le savez-vous, tempêtes ?
Gouffres, en parlez-vous ?

Le problème muet gonfle la mer sonore,
Et, sans cesse oscillant, va du soir à l’aurore
Et de la taupe au lynx ;
L’énigme aux yeux profonds nous regarde obstinée ;
Dans l’ombre nous voyons sur notre destinée
Les deux griffes du sphinx.

Le mot, c’est Dieu. Ce mot luit dans les âmes veuves ;
Il tremble dans la flamme ; onde, il coule en tes fleuves,
Homme, il coule en ton sang ;
Les constellations le disent au silence ;
Et le volcan, mortier de l’infini, le lance
Aux astres en passant.

Ne doutons pas. Croyons. Emplissons l’étendue
De notre confiance, humble, ailée, éperdue.
Soyons l’immense Oui.
Que notre cécité ne soit pas un obstacle ;
À la création donnons ce grand spectacle
D’un aveugle ébloui.

Car je vous le redis, votre oreille étant dure :
Non est un précipice. Ô vivants ! Rien ne dure ;
La chair est aux corbeaux ;
La vie autour de vous croule comme un vieux cloître ;
Et l’herbe est formidable, et l’on y voit moins croître
De fleurs que de tombeaux.

Tout, dès que nous doutons, devient triste et farouche.
Quand il veut, spectre gai, le sarcasme à la bouche
Et l’ombre dans les yeux,
Rire avec l’infini, pauvre âme aventurière,
L’homme frissonnant voit les arbres en prière
Et les monts sérieux ;

Le chêne ému fait signe au cèdre qui contemple ;
Le rocher rêveur semble un prêtre dans le temple
Pleurant un déshonneur ;
L’araignée, immobile au centre de ses toiles,
Médite ; et le lion, songeant sous les étoiles,
Rugit : Pardon, Seigneur !

Victor Hugo. Les contemplations. Poésie Gallimard. 1973