Prière de Janusz Korczak

Seigneur notre Dieu, je fais ce que je peux. Et comme je peux peu, je fais peu, mais toujours consciencieusement. Tu sais bien. Tout le monde ne peut pas être une grosse tête, à chacun de se débrouiller selon ses moyens. Je me débrouille comme je peux, Seigneur. L’important, pour moi, c’est de faire de la bonne ouvrage, d’être utile aux autres sans faire de tort à personne. Je crois que si chacun remplissait son devoir, Tu serais déjà bien content, Seigneur Dieu. Moi, comme je ne donne pas grand-chose à l’humanité, je n’en exige pas beaucoup non plus.

Il m’arrive parfois d’être un peu jaloux, mais je me dis aussitôt : « Quoi, tu voudrais changer de place ? Sais-tu au moins ce qui se passe dans l’âme de ton frère ? ». Je pense, en effet, qu’il n’existe pas d’homme qui accepterait sérieusement de prendre la place d’un autre. On finit par s’habituer à soi-même. Certes, quand je joue de malchance, il m’arrive de me mettre en colère. Mais quoi ? Toi qui pardonnes aux plus grands pêcheurs, Tu voudras bien me pardonner.

Certes, ils ne sont pas bien grands mes péchés, tout comme mes vertus, d’ailleurs. S’il m’arrive quelquefois d’avoir une pensée de travers, je ne cherche jamais à faire souffrir un frère. Le principal c’est d’être juste, voilà ce que je crois. Entre nous soit dit, si l’homme avait plus de plaisirs et moins de soucis dans la vie, peut-être en deviendrait-il meilleur ? Quoique…Si telle est ta sainte volonté, c’est qu’il ne doit pas y avoir de meilleure solution.

Je ne sais pas si ma prière te convient, mais n’est-ce pas indifférent ce que l’homme te raconte pourvu qu’il cause avec son cœur ?

Pour être franc, je n’ai pas grand-chose à te dire, je ne vais quand même pas te rabâcher les oreilles avec mes menus ennuis. Tu pourrais croire que je ne fais que me plaindre. D’un autre côté, je n’ose rien te demander, en effet, de quel droit exiger quoi que ce soit ? Et puis que pourrais-je te dire que Tu ne saches déjà, Seigneur Dieu ?

Voilà que je radote à présent, histoire d’échanger quelques mots avec quelqu’un. On dit que deux montagnes ne se rencontrent jamais, mais que l’homme peut toujours rencontrer l’homme. Mais quel homme ? Car il y en a peu avec qui on aimerait avoir un entretien. Il en est qu’on n’ose même pas approcher. Et là encore il faut surveiller son langage de peur qu’on ne vous déforme votre propos. C’est que les gens sont capables du pire ! Tandis qu’avec Toi, Seigneur, on peut causer sans crainte, je me demande même.

Mais il est peut-être temps que je m’arrête ? Tout ce bavardage doit te fatiguer. Et puis, ton temps est si précieux…

N’empêche qu’il est bon, Seigneur, de s’ouvrir à Toi quand on en a gros sur le cœur…

Janusz Korczak. Seul à seul avec Dieu. Points. 1995