Le labyrinthe et la boussole

« Etre libre, c’est être libre du père et de la mère, rien d’autre. » Swâmi Prajnanpad

Issu d’une conception biologique qui m’a engendré depuis un vide, une absence ou un oubli que j’appelle désirs, je me suis donné naissance me concevant incarnation d’esprit ou chair spirituelle.
A présent que je suis ici, exilé des cieux, égaré du temps, je me cherche à la manière d’un rat de bibliothèques ou d’une souris de laboratoire. Je m’examine.
Vivre ne serait-il pas une parenthèse provisoire de l’infini ?
Naissance, enfance, jeunesse et vieillesse comme des traversées de labyrinthes successifs que j’échafaude pour l’édification d’un moi apparent avec à chaque étape ses errances, ses souffrances et ses traces de lumière aussi.
Et pire que la souffrance, c’est mon attachement à elle qui a construit ma forteresse.
Vivre ainsi ne serait alors que reproduire des conduites de survie, rejouer des scénarios antiques enfouis au plus profond da ma psyché.
Tel je fus conçu, nourri et développé in utero, telle sera mon existence prédestinée.
Mais il n’y a de fatalisme que pour celui qui s’identifie.

Ce que je suis, je le dois à ce que j’ai été ! Lapalissade qui devient troublante dès que je l’interroge : suis-je en dette de ce qu’on m’a donné ou bien en détresse de ce que j’ai reçu ?
Quelle est ma part de choix disponible entre l’inconscient que j’apprends à apprivoiser et la liberté d’agir dont je me crois possesseur ?
Pourquoi ma main droite ignore ce que fait ma main gauche et qu’avec « demain » je tergiverse ?

A ce roi de la fable qui avait dépêché ses émissaires scientifiques et philosophes aux quatre coins du monde pour lui en rapporter le sens de la vie, ils revinrent après plusieurs mois, à dos de chameaux, avec des milliers d’ouvrages en guise de réponse. Face à l’impossibilité de tout consulter en une vie, le roi les renvoya. Et encore après de nombreux mois de pérégrinations, ils apportèrent au roi une seule réponse : « L’homme naît, l’homme souffre et l’homme meurt. »
Mais dans le laps de temps d’une vie terrestre, il y manquait la conscience.Ainsi va la vie comme un fil suspendu au-dessus du vide de l’insensé et tendu vers la recherche de soi.

Il n’est d’autre forme de salut que de se connaître, de se découvrir, de se rencontrer pour se donner du sens, un sens qui transcende le drame d’exister.
Pour débuter ce vaste chantier, sont nécessaires le courage de se voir nu, la persévérance de se relever et l’honnêteté de ne plus se mentir. C’est faire coïncider son intention d’authenticité avec soi-même, corps, cœur et conscience réunis.
C’est voir comment j’ai introjecté l’autorité et le maternage de l’enfance à ma situation d’aujourd’hui par ces rouages pervers et multiples de toute structure égotique : la substitution, la répétition, l’évitement, le déni, la projection, l’idolâtrie, l’idéalisation, l’oubli, le sacrifice, la pénitence, la forclusion… L’ego ignore le temps et l’espace.

A ce principe obligatoire d’éducation qui fit sortir l’enfant de sa toute puissance vers l’autre, le différent, l’étranger, se succède un principe « d’inducation » ou chemin de conversion, qui ramène à soi, la seule certitude tangible.
S’observer, s’introspecter et s’écouter patiemment sans attente, sans jugement ni censure.
Durant ce parcours de développement individuel pour tenir debout sans béquille, un cheminement spirituel advient qui pulvérise son « coffre-for intérieur ».
Les blessures se cicatrisent toujours mais ne se réparent jamais. On ne peut corriger le passé et ce peut être un douloureux abandon, comme un deuil, de le reconnaître. De même pour la culpabilité de ne pas avoir choisi la direction qui, après expérience, paraissait la meilleure. Aux yeux de l’ego, on a toujours tort.

Le temps n’est-il pas venu de rendre les armes, de déposer ses valises, de laisser s’en aller des mécanismes de défense inadaptés au présent, de quitter les parents symboliques ?
C’est parce que « l’enfer » est en moi que « l’enfer, c’est les autres ».
Et toujours « l’enfer me ment » !
Mais ce n’est qu’un point de vue limitée, par définition, de l’ego qui n’est pas une vision de l’esprit car dans le jeu des équilibres psychologiques, une autre voie contrebalance ma perception, une autre voix se fait entendre : celle qui sait en moi, celle de l’aide intérieure.
Et cette aide ne pourra intervenir  que si je renonce à mes réponses préfabriquées d’ego. Je suis mon propre virus et mon propre remède dès lors que je ne m’obstrue pas.

Dans ce dédale des mille tentations extérieures, tels les sifflements mortifères des sirènes, c’est forer au plus intime jusqu’au chant du silence bienfaiteur et tendre l’oreille à l’écho du soi.
C’est par la boussole des sens et de l’intelligence que l’obscur se rétrécie et que la lumière se répand. Une lumière éternelle quand les paupières ne sont plus closes sur le rêve de vivre.
S’éveiller, ce n’est pas seulement éclairer son ombre mais surtout la déshabiller.
A celui, hardi, qui ose ce périple, il sera promis la quiétude.
Tout parle, tout enseigne, tout nourrit à qui sait écouter. Tout murmure à l’âme ainsi prédisposée. La pensée en suspens, une vacance survient.
Et c’est avec cette disponibilité à l’inattendu qu’on se surprend à aimer sans cause ni raison.
Simplement, humainement et joyeusement ; les armures d’ignorance effacées à jamais.
Ainsi « dieusement », je poursuis ma route.

« Je n’ai rien fait aujourd’hui.
– Quoi, n’avez-vous donc pas vécu ? C’est non seulement la plus fondamentale de vos occupations, mais aussi celle qui a le plus d’éclat. » Montaigne

Patrick Giles