Sénèque. La fin de la peur

J’ai trouvé chez Hécaton que la suppression des désirs est également un remède utile contre la peur. « Tu cesseras d’avoir peur, dit-il, quand tu auras cessé d’espérer. » Tu vas me dire : « Comment peut-on mettre sur le même plan des sentiments aussi différents ? » C’est ainsi, mon cher Lucilius, ils ont l’air de diverger mais ils se rejoignent. La même chaîne lie le prisonnier et son gardien. C’est pareil pour ces sentiments si opposés : ils vont de pair. Derrière l’espoir, la peur. Et je ne m’étonne pas qu’il en soit ainsi : espoir et peur sont tous deux signes d’une âme qui attend l’avenir dans l’angoisse. L’un et l’autre viennent avant tout du fait qu’au lieu de nous adapter au présent nous projetons nos pensées vers un lointain futur. Ainsi la prévoyance (le plus précieux des dons que nous ayons reçus) devient pour nous un handicap. Nous, nous nous torturons avec l’avenir et le passé. Nombre de nos qualités nous font du tort : le souvenir fait revivre la peur qui nous à tourmentés et notre capacité à prévoir l’anticipe. Personne ne souffre du seul présent.

Sénèque. Lettres à Lucilius, Pocket, 1991