Bossuet. Brièveté de la vie
Tout cela n’est rien, chrétiens ; et voici le trait le plus admirable de cette divine ressemblance. Dieu se connaît et se contemple ; sa vie, c’est de se connaître : et parce que l’homme est son image, il veut aussi qu’il le connaisse être éternel, immense, infini, exempt de toute matière, libre de toutes limites, dégagé de toute imperfection. Chrétiens, quel est ce miracle ? Nous qui ne sentons rien que de borné, qui ne voyons rien que de muable, où avons nous pu comprendre cette éternité ? Où avons nous songé cette infinité ? ô éternité ! ô infinité ! Dit saint Augustin, que nos sens ne soupçonnent pas seulement, par où donc es-tu entrée dans nos âmes ? Mais si nous sommes tout corps et toute matière, comment pouvons nous concevoir un esprit pur ? Et comment avons nous pu seulement inventer ce nom ?
Je sais ce que l’on peut dire en ce lieu, et avec raison : que, lorsque nous parlons de ces esprits, nous n’entendons pas trop ce que nous disons. Notre faible imagination, ne pouvant soutenir une idée si pure, lui présente toujours quelque petit corps pour la revêtir. Mais, après qu’elle a fait son dernier effort pour les rendre bien subtils et bien déliés, ne sentez vous pas en même temps qu’il sort du fond de notre âme une lumière céleste qui dissipe tous ces fantômes, si minces et si délicats que nous ayons pu les figurer ? Si vous la pressez davantage, et que vous lui demandiez ce que c’est, une voix s’élèvera du centre de l’âme : je ne sais pas ce que c’est, mais néanmoins ce n’est pas cela. Quelle force, quelle énergie, quelle secrète vertu sent en elle-même cette âme, pour se corriger, pour se démentir elle-même et rejeter tout ce qu’elle pense ! Qui ne voit qu’il y a en elle un ressort caché qui n’agit pas encore de toute sa force, et lequel, quoiqu’il soit contraint, quoiqu’il n’ait pas son mouvement libre, fait bien voir par une certaine vigueur qu’il ne tient pas tout entier à la matière et qu’il est comme attaché par sa pointe à quelque principe plus haut ?
Bossuet. La vie heureuse et la brièveté de la vie. GF. 2011
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