Basset. Au-delà du pardon

Invitation à entendre l’infinie Sollicitude derrière ce premier et essentiel conseil d’ami : « au jour où », c’est-à-dire « chaque fois que » tu prononces un jugement absolu et définitif sur autrui – il est Bon, il est Mauvais -, chaque fois que tu crois connaître le Bien et le Mal comme on possède l’aliment que l’on a avalé, tu te perds toi-même. En consommant autrui Bon et en détruisant autrui Mauvais, tu t’enfermes dans un monde de choses : parce que ta connaissance « objective » fait d’autrui un « objet », tu n’es plus en relation avec des personnes… et, n’ayant plus de vis-à-vis, tu te perds toi-même en tant que personne.

N’ai-je pas maintes fois constaté moi-même que c’est l’impasse ? La vie perd toute saveur, c’est la mort des relations. L’autre ne présente plus aucun intérêt, puisque je le « connais » de A jusqu’à Z. L’autre – donc la vie dans son surgissement imprévisible – ne peut plus me surprendre puisque je sais déjà tout sur autrui… et sur moi-même par la même occasion. En regardant de près « l’arbre de vie », je m’aperçois alors que c’est l’arbre « des vivants » (l’hébreu a ici un pluriel d’intensité pour dire « la vie ») : plus personne n’est vivant, ni moi ni mon entourage, « le jour où je mange » « c’est-à-dire détruit) l’altérité. Chaque fois que je refuse à autrui d’être autre, irréductiblement autre, c’est-à-dire inassimilable, j’empêche l’arbre de vie de nous nourrir tous de sa sève.

Lytta Basset. Le désir de tourner la page. Albin Michel. 2011