Machado. Des chemins sur la mer

II
A quoi bon appeler chemins
les sillons du hasard ?…
Qui chemine marche toujours
Comme Jésus sur la mer.

XXI
Hier j’ai rêvé que je voyais
Dieu et qu’à Dieu je parlais ;
et j’ai rêvé que Dieu m’entendait…
Puis j’ai rêvé que je rêvais.

XXVIII
Tout homme a deux
combats à livrer :
en songe il se bat avec Dieu ;
puis éveillé avec la mer.

XXIX
Voyageur, le chemin
sont les traces de tes pas
c’est tout ; voyageur
il n’y a pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.
Le chemin se fait en marchant
et quand on tourne les yeux en arrière
on voit le sentier que jamais
on ne doit à nouveau fouler.
Voyageur, il n’est pas de chemin,
rien que des sillages sur la mer.

XXXIV
J’aime Jésus qui nous a dit :
Le ciel et la terre passeront.
Quand ciel et terre seront passés,
ma parole demeurera.
Quelle fut, Jésus, ta parole ?
Amour ? Pardon ? Charité ?
Toutes tes paroles furent
qu’une parole : Veillez.

XLI
Il est bon de savoir que les verres
ne servent pas à boire ;
ce qui est dommage est de ne pas savoir
à quoi sert la soif.

XLIV
Tout passe et tout demeure,  
mais notre affaire est de passer,  
de passer en traçant des chemins,  
des chemins sur la mer

XLVI
Hier soir j’ai rêvé que j’entendais
Dieu me crier : Alerte !
C’était ensuite Dieu qui dormait
et moi je criais : Réveille-toi !

Antonio Machado. Champs de Castille (Extraits de Proverbes et Chansons). Poésie Gallimard. 2018