Hofmannsthal. Lettre du voyageur
Même ma propre pesanteur, l’engourdissement habituel de mon cerveau me semblent être quelque chose ; je sens un affrontement délicieux, tout simplement infini, en moi et autour de moi, et parmi les matières qui s’affrontent il n’en est aucune dans laquelle je ne puisse me glisser. J’ai alors l’impression que mon corps est constitué uniquement de caractères chiffrés avec quoi je peux tout ouvrir. Ou encore que nous pourrions entrer dans un rapport nouveau, mystérieux, avec toute l’existence, si nous nous mettions à penser avec le cœur. Mais quand cet étrange enchantement m’abandonne, je ne sais plus rien dire à son sujet ; je ne pourrais pas davantage alors expliquer au moyen de paroles raisonnables en quoi consistait cette harmonie qui nous traversait, le monde entier et moi, de son flottement suspendu, ni comment elle m’est devenue sensible, que je ne saurai donner l’indication exacte sur les mouvements internes de mes entrailles ou les stases de mon sang.
Hugo von Hofmannsthal. Lettres du voyageur à son retour. Mercure de France. 1989
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