Hulin. La mystique sauvage

A vrai dire, l’expérience mystique ne comporte que deux dimensions absolument universelles et indépendantes de la subjectivité des individus. La première est négative : c’est la certitude que tout ce que cette expérience donne à voir, à sentir est sans commune mesure avec le connu, le familier, le catégorisable, les structures de notre univers physique et social. Ici s’ouvre un gouffre où disparaissent tous nos repères, tout ce sur quoi s’appuie notre conscience de nous-mêmes, des autres et du monde. Ici se profile l’absolument autre, l’irreprésentable, l’indicible. (…)

Il y a l’autre face de l’expérience, laquelle sans contredire en quoi que ce soit la première, lui confère un sens et la rend vivable pour nous. La première broie toute pensée et bâillonne toute parole. Là où elle se présente, seule règne l’angoisse. Mais l’extase est dépassement de l’angoisse en ce sens que son autre face s’appelle la non-souffrance. Sur un mode qui échappe à l’entendement nous est annoncée la Bonne Nouvelle de l’universelle réconciliation : tout est bien à jamais, dans les siècles des siècles, les conflits qui nous déchirent sont apaisés depuis toujours, nos plus profonds souhaits déjà mystérieusement accomplis, nos désespoirs sans fondement, nos vies effilochées déjà recueillies dans la sollicitude ardente de l’Etre. Celui qui reçoit un tel message, comment pourrait-il se taire ?

Michel Hulin. La mystique sauvage. PUF. 1993