Guénard. Le pardon qui déchaîne.

Le pardon n’est pas une baguette magique.
Il y a le pardon du vouloir et celui du pouvoir : on Veut pardonner mais on ne le Peut pas. Quant on peut, lorsque enfin la tête et le cœur finissent par être d’accord, il reste le souvenir ; ces choses douloureuses qui remontent à la surface, qui troublent et raniment la colère ou la haine. C’est le pardon de la mémoire qu’il nous est alors proposé de vivre. Ce n’est pas le plus facile. Il exige beaucoup de temps. (…)
J’ai eu de la chance de rencontrer des gens vrais. Ils m’ont aimé avec l’empreinte de mon passé. Ils ont osé accepter ma différence, mes soubresauts d’homme blessé. Ils ont écouté ma souffrance et continué de m’aimer après les orages. Maintenant, j’ai la mémoire d’avoir reçu.
Le passé se réveille à cause d’un son, d’une parole, d’une odeur, d’un bruit, d’un geste, d’un lieu entr’aperçu…Un rien suffit pour que les souvenirs surgissent. Ils me bousculent, ils me griffent. Ils me rappellent que je suis encore sensible, que j’ai toujours mal. Je ne serai peut-être jamais totalement pacifié. Il me faudra sans doute recommencer mon pardon, encore et encore. Est-ce le « soixante dix sept fois sept fois » dont parle Jésus ?
Pardonner, c’est ne pas oublier. C’est accepter de vivre en paix avec l’offense. Difficile quand la blessure a traversé tout l’être jusqu’à marquer le corps comme un tatouage de mort. J’ai récemment dû subir une opération des jambes : les coups portés par mon père ont provoqué des dégâts physiques irréparables. La douleur se réveille souvent ; avec elle, la mémoire. Pour pardonner, il faut se souvenir. Non pas enfouir la blessure, l’enterrer, mais au contraire la mettre à jour, dans la lumière. Une blessure cachée s’infecte et distille son poison. Il faut qu’elle soit regardée, écoutée, pour devenir source de vie.
Je témoigne qu’il n’y a pas de blessures qui ne puissent être lentement cicatrisées par l’amour.

Tim Guénard. Plus fort que la haine. J’ai Lu. 2002