Pontalis. Traversée des ombres

Heureusement nous rêvons. Nos rêves sont propices aux métamorphoses. Ils sont le lieu de nos pensées désordonnées. Ce désordre nous trouble, nous inquiète. Alors nous nous empressons par l’oubli d’effacer nos rêves, ces dangereux anarchistes, ces provocateurs insolents. Quand nous ne les oublions pas, nous en faisons le récit, nous tentons de leur donner une forme plus acceptable qui les ferait rentrer dans l’ordre. Mais comment civiliser ces sauvages ? Comment calmer ces fauteurs de désordre ?

J’écris ces lignes sans me soucier de cohérence. Mais je les écris. Je soumets, que je le veuille ou non, les pensées qui me viennent à l’ordre du langage articulé, je respecte la syntaxe, je veille à la ponctuation, à l’orthographe. Souvent le langage, comme l’autoroute encombrée, n’est qu’une prison, n’est que contrainte. Il aliène ma liberté en excluant tout ce qui n’est pas lui, il exige les pleins pouvoirs. Mais parfois, grâce à lui, nous empruntons des routes de traverse, riches de sensations nouvelles ou oubliées, leur donnant même une intensité accrue. Il parvient à faire entendre l’inouï, à rendre visible l’invisible.

J.-B. Pontalis. Traversée des ombres. Folio. 2005