Jaëll Marie. L’inventivité sensible

Je suis toujours préoccupée par des travaux que je dois entreprendre, des progrès que je dois réaliser. Mon jeu ne me contente que de loin en loin et par fragments, rarement dans l’ensemble. Je découvre toujours des lacunes.
Se sentir toujours trop petit pour ce qu’on désire et trop grand pour ce que l’on atteint, se sentir entre ces deux alternatives sans trouver d’issue, sans connaître le moyen de terminer cet état de lutte ; voir toujours la tache inachevée, sentir l’âme inassouvie, brûlant d’un feu qui le dévore, et constater l’impuissance humaine à calmer cet embrasement intérieur, ce volcan qui bouillonne.
Parfois je me fais peur, l’excès de mes sentiments m’effraye ! Je me demande : que deviendrais-je si cette lave, qui me fait trembler lorsqu’elle est endiguée venait à briser les liens qui l’enserrent, si elle devenait torrent et s’érigeait en maître ? Ah, je suis faible puisque j’ai peur de moi, mais il est une chose plus dangereuse encore que se craindre, c’est de ne pas se connaître !

Marie Jaëll. A sa sœur Caroline.