Petit. L’art du funambule

Celui qui marche, danse ou voltige
Sur une corde à quelques mètres du sol
N’est pas funambule.
Son fil peut être tendu, lâche, muni de ressorts
Ou complètement détendu, il travaille avec ou sans balancier,
On l’appelle le danseur de corde.

Qui emploie de la même manière
Un mince fil d’archal ou d’acier
Devient fildefériste.

Reste celui dont le spectacle semble jeu de hasard.
Celui qui est fier de sa peur.
Il ose tendre ses câbles par-dessus les précipices,
Il se lance à l’assaut des clochers,
Il s’éloigne et unit les montagnes.
Son câble d’acier, sa corde, doivent être fort tendus.
Il se sert d’un balancier pour les grandes traversées.
C’est le Voleur du Moyen Age,
L’Ascensionniste du siècle de Blondin,
Le Funambule.

Non, le fil n’est pas ce qu’on imagine.
Ce n’est pas l’univers de la légèreté, de l’espace, du sourire.
C’est un métier.
Sobre, rude, décevant.

Et celui qui ne veut pas mener une lutte acharnée
D’efforts vains, de dangers profonds, de pièges,
Celui qui n’est pas prêt à tout offrir
Pour se sentir vivre,
Celui-là n’a pas besoin de devenir funambule.
Surtout il ne le pourrait pas.

Philippe Petit. Traité du funambulisme. Acte Sud. 1997