Retour au cœur de la guérison

C’est d’un feu primordial et originel que de la lumière s’est révélée. Cette incandescence s’est prolongée par les souffles de vie de tous ceux et celles qui en étaient habitée. Et cette respiration essentielle est arrivée jusqu’à moi qui tente d’en composer une gerbe que je veux de béatitude incluant toutes les dualités de ce monde : les doutes et les lueurs, les douleurs et les consentements, les solitudes et l’évidence, les rêves et le réel, les égarements et la foi.

Il ne s’agit pas de transmission qui laisserait entendre que les particularismes de chacun soient communicants entre eux (même si des communions s’établissent par le silence) mais d’un vent de paroles qui traverse les individualités et insuffle une présence intemporelle. Comme si le morcèlement chronologique et les archivages d’époques n’avaient pas eu lieu. Comme si les « Je » n’étaient pas faits et que, seul, le Soi, était, est et sera dans un même élan, un même mouvement : une danse de l’Absolu.

A chacun de préparer son itinéraire depuis les poètes jusqu’aux sages, femmes ou hommes, à l’image de l’être humain, synthèse de corps, de cœur et de conscience ; d’instinct, d’intuition et d’inspiration. Une imagination qui rejoint le feu sacré bien que la tentation de la déviance et de la régression vers l’égocentrisme est souvent préférée pour qui veut prouver absurdement que « Je » existe  indépendant de ce feu créateur et universel.
Revenir au désir, encore et toujours, à l’impulsion, à l’intention qui font que « Je » est ici et maintenant.
Remettre son cœur à l’ouvrage de la Vie, un ouvrage simplement considéré comme le moyen matériel disponible de se transporter sur l’horizontale du monde, de se transformer par la diagonale du fou et de se transcender en retournant à la verticale de l’Esprit.
« Je » n’est qu’un détournement de parcours car il faut être pleinement fou pour entreprendre ce voyage à l’envers, ce retour au Soi et se laisser embraser.

Il n’est pas d’autres boussoles que celles qui m’ont fait être ce que je suis dans le but enfin reconnu de bouger ses marges, c’est-à-dire de chasser les convenances, de déloger les bienpensances et de déjouer les croyances. C’est passer du mensonge réconfortant (bien qu’anxiogène) à l’ouverture  dérangeante de ce feu brûlant qui me contient quoique je pense ou fasse. C’est vivre une apparente brûlure cicatrisante qui ne consume rien d’autre que de l’illusion.
C’est ce qui me fait avant d’être né.
C’est le Feu au-delà des flammes.
Je souhaite que ce feu du Soi et ses braises de « Je » deviennent l’étincelle qui ravive ce qui n’a jamais été éteint et manifeste ce qui n’a jamais été détruit afin qu’une sainte guérison du « Je » vers le Soi puisse s’opérer.

« Jésus a dit :
Si la chair existe à cause de l’esprit, c’est une merveille.
Si l’esprit existe à cause du corps, c’est une merveille des merveilles.
Quant à moi, je suis surpris que cette immense richesse ait fait sa demeure d’une telle pauvreté. »
         Evangile de Thomas découvert à Nag Hammadi. Extrait
        
traduit par Michèle-Rose Wainhouse

Quelle est donc cette « pauvreté » qui nous habite ?
Quelle est donc cette « immense richesse » que nous sommes ?
Et où est « la merveille » ?
En l’être humain, c’est par ce tandem insécable corps – conscience qu’il est possible de se relier au divin, source de béatitude. Mais nous reconnaissons-nous comme tels alors que malaises, frustrations et dépendances nous accaparent sans cesse ?
Ancrés par la chair mais coupés de nos racines célestes, il revient, pour celui qui le veut vraiment, la tâche d’entreprendre une réconciliation, une ré-union, un retour sur soi car sans eux, il se verrait condamné à vivre dans la désolation de ce qu’il croit lui faire défaut.
C’est par ce que nous croyons qui nous manque que nous semblons malades et désespérés.

Heureusement, il est des guérisons disponibles pour chacun selon la connaissance qu’il se révèle à lui-même. Des guérisons qui vont au-delà de la santé physique ou psychique – même si elle ne l’exclut pas – parce qu’elles se situent hors de nos limites, de nos particularismes, de nos prétentions, de nos différences, de nos revendications…
Des guérisons qui nous métamorphosent.
Car il n’est rien d’autre à guérir que la croyance en la séparation.

Un point de vue serait de considérer l’existence comme une succession de ruptures : le bébé du fœtus, l’enfant de l’adulte, les divorces et séparations, la perte des êtres chers, la mort du corps… et un autre comme une traversée de frontières que nous sommes venus expérimenter ici-bas.
Le monde n’apparaît plus alors comme un lieu d’exil, d’oublis et de souffrances mais, bien au contraire, comme un moyen de réaliser que le « Royaume » n’a jamais été quitté (si ce n’est par la  pensée).
De notre finitude nous accédons à l’éternité.
Dans notre solitude nous retrouvons l’unité.
Ainsi, de seuils en seuils, un cheminement s’élabore et nous devenons « apprentis-sages. »
Et dans cette exploration des profondeurs, nous ne sommes jamais seuls, ni les premiers. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller visiter, entre autres, les mystères d’Éleusis de la Grèce antique, le culte de Mithra de l’empire romain ou le culte d’Isis et d’Osiris de l’Egypte ancienne. Tout aussi bien l’Olympe, Shambhala ou Shangri-La, lieux mythiques ou le Mont Kailash, le mont Sinaï ou le mont Fuji, terres de mystères.
L’histoire du monde aussi est jalonnée de ces témoins : sages de l’Inde, figures de Saints ou de mystiques, guides de tradition chamanique, êtres dits « éveillés », et j’en passe.

C’est toujours un processus trinitaire qui est à l’œuvre : moi, un intercesseur (humain ou non) et ce que j’en deviens par l’expérience que j’en fais, ma conscience de base s’élargissant vers d’autres horizons.
Ainsi la trinité du « moi » corps-cœur-conscience pourrait tout aussi bien s’appliquer aux trois principes alchimiques (sel/corps, soufre/âme, mercure/esprit) ; à la Trinité chrétienne (Père, Fils et Saint-Esprit) ; à la Trimurti indienne (Brahmâ – producteur de la manifestation, Vishnu – animateur et conservateur des êtres et Shiva – destructeur et transformateur) ; au Tao de la sagesse chinoise (Voie de l’unité au-delà de la dualité Yin, principe passif et Yang, principe actif).
Aussi Shiva Nataraj, divinité hindoue, symbole de transformations, de la danse cosmique perpétuelle, du feu purificateur et des cycles de morts et renaissances me semble bien correspondre à ce dont il s’agit ici. Shiva qui éclaire et qui consume aux vertus thérapeutiques, c’est-à-dire aux vertus qui invitent à prendre soin du divin en soi.
Ainsi de notre aventure humaine, dépassement des espaces, traversée de temps, élargissement de conscience, depuis la cellule jusqu’au cosmos, de l’individualité à l’universel.

Dans le kaléidoscope de notre vie, il n’est alors plus qu’une voie : celle de l’invisible ; il n’est qu’une couleur : celle de la transparence.
Passages, passeurs et passagers ne font plus qu’un dans la ronde du Vivant car selon l’ancien adage : « Tous les chemins mènent à l’arôme ».
Et quand la « mère veille » nous embrasse, nous ne pouvons être que « si lents cieux ».

Patrick Giles