Choisy. Dans quel mythe sommes-nous ?

Aux époques de mue, il faut savoir passer au camp des Barbares. Mais il faut être sûr, d’abord, que c’est bien le camp de la plus grande vie. Allons toujours à la plus grande vie. La vie est le vrai critère. L’amour du neuf n’est pas un signe. Les vieillards blasés aussi ont l’amour du neuf. Tant de choses neuves contiennent à leur naissance un germe de mort. Tant d’enfants s’éteignent quand les centenaires restent. Il est aussi des mythes mort-nés.

L’humanité est encore jeune. Qu’est-ce qu’une bagatelle de mille ou deux mille siècles qui nous sépare du sinanthrope ? Les forces expansives qui permettent le développement de l’âme collective et de cette unification finale où chaque individu garde ses vertus propres n’ont pas encore vaincu les forces destructrices qui tendent à nous ramener au néant, ce néant auquel nous venons à peine d’échapper.

Nous sommes ce champ de bataille perpétuel où les instincts de vie triomphent pour quelques années seulement des instincts de mort qui nous reprennent à l’heure de l’agonie. Pour sortir de cette duperie individuelle, pour monter sur le plan de l’éternel, nous devons d’abord dépasser ce qui en nous est voué à la destruction finale. Seul l’amour oblatif – l’expression supérieure des instincts de vie – peut nous faire accéder au Tout et nous rendre indépendants du temps, de l’espace, de la désintégration. Quel mythe nous donnera rapidement ce plus grand amour, pour vaincre la guerre et la destruction ? On cherche un mythe moderne…

On cherche… Et s’il était déjà trouvé?

Maryse Choisy. « Psyché, Revue Internationale de Psychanalyse et des Sciences de l’Homme », N° 8, juin 1947.