Thibon. La foi

La foi, au sens large du mot, n’a rien d’irrationnel ni de surnaturel, car d’expérience on apprend que, quel que soit son objet, elle se révèle comme une puissance agissante dont les effets sont objectivement constatables, tels par exemple ceux du placebo en médecine. L’illusion, là où elle existe, concerne donc l’objet de la foi, et non ses effets. Illusion d’ailleurs nécessaire pour que l’effet se produise : le placebo n’est efficace que si le malade voit en lui un vrai remède. La vérité de l’effet repose sur l’erreur quant à la cause. De même, le croyant attribue les effets bénéfiques de sa foi à son Dieu et non à sa foi. Étrange humilité de l’homme dans ce besoin qu’il a de chercher hors de lui-même la source d’un pouvoir qu’il porte en lui-même. Qu’en est-il alors de la foi religieuse ? Ici, l’objet — interior intimo — se confond avec le sujet : la foi, c’est Dieu lui-même, intérieur à nous. Et la purification de la foi, toujours mêlée d’alliages humains au départ, consiste paradoxalement d’une part à « désobjectiver » Dieu en le ramenant à cette intériorité absolue et, de l’autre, à le « désubjectiver » (au sens courant du mot subjectif qui désigne tout ce qui, dans l’homme, ne va pas au-delà du cercle étroit des réactions et des interprétations superficielles du moi isolé) pour le rejoindre dans la profondeur mystérieuse où s’efface la frontière entre la créature et le créateur…

Gustave Thibon. L’illusion féconde. Fayard. 1995