Ibn’Arabi. Écoute, Bien-Aimé

Écoute, ô bien-aimé !
Je suis la Réalité du monde,
le centre et la circonférence,
J’en suis les parties et le tout.
Je suis la Volonté établie entre le ciel et la terre,
Je n’ai créé en toi la perception
que pour être l’objet de Ma perception.
Si donc tu Me perçois, tu te perçois toi-même
mais tu ne saurais Me percevoir à travers toi.
C’est par Mon œil que tu Me vois et que tu te vois,
ce n’est pas par ton œil que tu peux Me concevoir.
Bien aimé,
tant de fois T’ai-Je appelé,
et tu ne M’as pas entendu !
Tant de fois Me suis-Je à toi montré,
et tu ne M’as pas vu !
Tant de fois Me suis-Je fait douces effluves,
et tu n’as pas senti,
nourriture savoureuse
et tu n’as pas goûté.
Pourquoi ne peux-tu M’atteindre
à travers les objets que tu palpes ?
Ou Me respirer à travers les senteurs ?
Pourquoi ne Me vois-tu pas ?
Pourquoi ne M’entends-tu pas ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Pour toi Mes délices surpassent
tous les autres délices,
et le plaisir que Je te procure
dépasse tous les autres plaisirs.
Pour toi Je suis préférable
à tous les autres biens.
Je suis la Beauté,
je suis la Grâce.
Bien-aimé, aime-Moi,
aime-Moi seul, aime-Moi d’amour.
Nul n’est plus intime que Moi.
Les autres t’aiment pour eux-mêmes :
moi, Je t’aime pour toi,
et toi, tu t’enfuis loin de Moi.
Bien-aimé,
tu me peux Me traiter avec équité,
car si tu te rapproches de Moi
c’est parce que Je Me suis rapproché de toi.
Je suis plus près de toi que toi-même,
que ton âme, que ton souffle.
Bien-aimé, allons marchons vers l’union…
Allons main dans la main,
entrons en la présence de la Vérité,
qu’elle soit notre juge
et imprime son sceau sur Notre union
à jamais.

Ibn’Arabi dans Henri Corbin. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arabi. Entrelacs. 2006